Entre des politiques de l’offre qui recouvrent alternativement le dégraissage ou la restructuration des appareils (Nationalisation ou privatisation) industriels et des politiques de la demande à la recherche de marges de manœuvres inexploitées, il n’y a pas de jour où n’apparaissent de nouveaux programmes de sortie de crise. Les acteurs en sont le plus souvent les grandes ou les petites entreprises privées, les entreprises publiques ou les administrations, rarement les institutions  de l’économie sociale.

Les mouvements coopératifs, associatifs et mutualistes ont une place limitée dans l’économie. Mais ces institutions de l’économie sociale sont aujourd’hui à la convergence d’un certain nombre de tendances : les nouvelles aspirations en matière de travail, le développement local, répondre aux défis énergétiques et écologiques et meilleure satisfaction des besoins, etc.

Alternativement de manière complémentaire à la notion d’économie sociale, l’expression de tiers secteurs est apparue au cours des années 70 (au moment du chômage et de la remise en cause du pouvoir d’achat). Le tiers secteur regroupe aujourd’hui toute une série d’activités dont les formes, très variées, vont des associations au mouvement dit des «nouveaux entrepreneurs », les frontières sont donc lâches et perméables, mais une identité minimale subsiste au troisième secteur, qui échappe aux biais attribués aux grandes formes de production privée et publique : « l’égoïsme » d’une production privée qui conduirait à l’exploitation des producteurs et des consommateurs ; la bureaucratie d’une production publique qui déboucherait sur la méconnaissance des besoins réels et renforcerait les phénomènes d’aliénation des consommateurs-citoyens. Plus simplement le tiers secteur s’inspire d’un certain nombre de principes de base qui sont : le principe «un homme, une voix », l’intérêt limité sur le capital social, la formation de ses membres, l’intercoopération.

Qu’il s’agit du tiers secteur ou de l’économie sociale, termes que nous retiendrons désormais. Ces idées sont devenues un nouveau model de croissance où les thèmes de la convivialité, de l’autonomie, des technologies douces, de l’environnement chercheraient à s’ajuster mutuellement tout en visant à maintenir le niveau de vie, quitte à modifier certaines de ses formes (services de voisinage).

L’importance de l’économie sociale n’est plus à démontrer aujourd’hui. Il y a donc place pour se demander quelles sont les conditions de son développement. Une brève  analyse des facteurs positifs et négatifs montre aujourd’hui que, parmi tous les éléments susceptibles d’influencer le développement de l’économie sociale, son financement est celui qui connaît l’évolution la moins satisfaisante : la demande sociale pour de nouveaux types d’activités est forte comme en témoigne la multitude des tentatives «à la base » : la crise a laissé de nombreux besoins non satisfaits auxquels n’ont pas répondu les appareils de production publics et privés les plus proches.

Une question est, dès lors, posée : Peut-on s’appuyer sur les circuits les plus généraux de financement de l’économie et faire sauter cet obstacle en les ouvrant systématiquement sur l’économie sociale ou doit-on  au contraire créer des institutions spécifiques à ce troisième secteur, des circuits cloisonnés ? Vaut-il mieux obtenir une masse de fonds ou préserver l’originalité des comportements ? C’est sans doute dans les ajustements concrets beaucoup plus que dans des raisonnements conceptuels que les solutions pourront être trouvées.

Entre une économie sociale qui entend maintenir son originalité tout en obtenant les fonds nécessaires à son développement et des détenteurs de fonds qui sont le plus souvent motivés par des rendements financiers élevés et peu risqués, le problème est bien de savoir comment mettre en rapport des demandes «à priori contradictoires », si l’ajustement peut être général ou spécifique, et quels sont les nouveaux produits qu’il convient de mettre en place

I. L’économie sociale, secteur économique significatif

Il n’est pas inutile de rappeler l’importance et la place de ce troisième secteur dans notre économie. Il s’agit d’une tache ardue, puisque la notion d’économie sociale est plus ou moins bien acceptée et comprise différemment. On l’entend donc dans une double acceptation :

  1. Au sens étroit, il s’agira essentiellement du mouvement coopératif, quel que soit bien entendu le secteur d’activité de ces coopératives (coopératives de production, agricoles, de distribution, banques coopératives, etc.)
  2. Au sens large on ajoutera les autres formes de production (dont le statut est beaucoup moins homogène selon les pays considérés), il s’agira donc d’associations de producteurs, des activités de services produits par les comités d’entreprises ou alternatives, des fonds de charités en Allemagne ou encore des centres locaux de services communautaires à l’image du Canada (X. Greffe, « financer l’économie sociale »), etc.

En Algérie,  l’économie sociale au sens étroit concernerait environ 5 000 salariés, auquel il convent d’ajouter environ 1 500 salariés travaillant dans les mutuelles, 3400 salariés associés aux activités économiques ou des comités d’entreprises, des syndicats et des fondations, et environ 7 100 salariés dans les associations, ces chiffres étant déterminés au terme d’une approximation extrêmement délicate. On aboutira alors à un nombre de travailleurs qui avoisine les 62 000 salariés (Un pourcentage très faible de la population active). Les chiffres du mouvement coopératif donnent des résultats inférieurs puisque le nombre de travailleurs ici concernés serait alors de 5 000 à 15 000 salariés. Des données relatives aux chiffres d’affaires, au nombre de clients ou aux fonds détenus sont encore plus ambiguës. Mais au-delà de ces débats statistiques, il est par contre un point sur lequel tout le monde se rejoint, à savoir la faible progression dont le tiers secteur au cours de la période récente. Il s’agit du nombre d’associations, de coopératives ou de mutuelles.

A cela s’ajoutent aussi des formes anciennes d’économie solidaire qui ont su se renouveler par des comités de villages, associations de quartiers où leur souci premier est l’amélioration du cadre de vie et prise en charge des aspects de la vie communautaire relative à leur quotidien. Une autre forme d’économie sociale qui a su se maintenir aussi par l’adaptation de l’organisation sous forme d’associations religieuses rattachées le plus souvent à un lieu de culte, ainsi que des actions caritatives et de charités telles que la Ouaada, Zerda, Temch’ret.

II. Quatre données au problème

Les difficultés de financement de l’économie sociale les plus fréquentes consistent :

  1. Il s’agit d’abord d’un secteur faiblement productif ;
  2. Il existe généralement peu de garantie personnelle ;
  3. Les travailleurs sont peu enclins à compenser cette absence de garanties personnelles en concédant un pouvoir accru au financeur ;
  4. Et par déduction l’épargne normale n’a aucune raison de s’intéresser à ce genre d’emploi.

Et bien sur rien ne dit que cette présentation sommaire est exhaustive.

A. la productivité

La productivité du tiers secteur serait-elle inférieure à la productivité moyenne de l’économie, ce qui empêche les fonds disponibles d’y investir ? La réponse est beaucoup plus complexe et difficile à vérifier d’un point de vue statistique.

D’abord du fait que les entreprises de l’économie sont des entreprises à produits joints. L’entreprise de l’économie sociale entend simultanément mettre en œuvre une production socialement reconnue, de nouveaux rapports de travail et de pouvoirs, de nouvelles liaisons avec l’environnement. Il est difficile de séparer ces différents «produits » et les travailleurs de l’économie sociale auront tendance à apprécier l’efficacité de l’entreprise par rapport au complexe ainsi défini. Il est donc certain que la notion de rentabilité monétaire est particulièrement mal adaptée pour traiter de l’ensemble des performances de l’économie sociale. En se limitant à une vue strictement micro-économique et monétaire des choses, elle néglige de prendre en compte toute une série d’effets qui se traduisent pourtant par des gains monétaires au niveau, des finances publiques ou du budget social de la nation.

Plutôt que de parler d’une improductivité chronique de l’économie, mieux vaut insister ici sur le contraste de ses performances ou pour le dire autrement, sur le fait que la durée de vie de certaines entreprises soit très courte. Un autre aspect voit dans les entreprises de petites dimensions des réservoirs d’innovation et une amélioration des relations sociales de l’entreprise une nouvelle source de progrès économique.

Il y a des cas où on peut monter la supériorité des entreprises de l’économie sociale (Ou de petite taille de manière générale) par rapport aux entreprises privées :

  1. Là où des situations monopolistiques ou de cartels engendrent des profits excessifs. Ceci est vrai dans le cas des mutuelles ou des banques populaires qui peuvent abaisser des taux usuraires ;
  2. Là où la faiblesse des revenus n’attire pas le capital, alors même que des activités utiles pour les sociétés pourraient être entreprises ;
  3. Là où le principe de la ristourne au prorata des transactions permettra de vendre les produits au prix coûtant et de combler ainsi les imperfections du marché.

Les trois remarques qui viennent d’être faites relativisent donc sensiblement la vision stéréotypée des problèmes de productivité dans l’économie sociale. Il n’en reste pas moins que dans une économie de marché qui ignore à priori l’intérêt d’un calcul économique et social agrégé et le haut degré de risque attaché aux entreprises du tiers secteurs lors de leur phase de mise en place, ces deux caractéristiques ne peuvent que poser des problèmes de fonds quant à l’installation d’un système  financier adéquat.

B. Les garanties et apports personnels

L’absence de garanties personnelles des travailleurs et/ou des entrepreneurs de l’économie sociale ajoute à la difficulté de son financement. Le fait que ces derniers ne disposent pas généralement pas de ressources financières importantes  conduit les organismes prêteurs à ne pas leur faire confiance et à orienter l’épargne disponible vers les activités ou il existe une masse initiale de capital propre beaucoup plus tangible.  

Plusieurs  raisons expliquent cette absence de capital propre au départ les deux premières –intimement liées – concernent le caractère relativement limité du nombre d’apporteurs et leurs ressources également limitées.

Cette faiblesse des capitaux propres unanimement reconnue n’est pas spécifique à l’économie sociale, mais elle est particulièrement grave dans ce cas là car les perspectives de rentabilité y sont plus aléatoires que dans les entreprises  où le produit comme le marché est mieux précisé. Cette insuffisance entraînera  donc ici un effet levé sur les difficultés qu’éprouvent les entreprises du tiers secteur à couvrir les charges  de leur développement et de leur trésor. Il y a  lien de se demander alors ce que l’on attend exactement  de l’apport personnel en capital propre au sein de l’économie sociale et le rôle qu’il jouera.  S’agit-il plutôt d’y voir une garantie de ce que les gestionnaires de l’entreprise s’attacheront à son bon fonctionnement ou s’agit-il de disposer d’une sécurité en cas de d’échec financier ? (Arguments « préventif - curatif »)

Deux perspectives sont donc ouvertes face à cette exigence d’un minimum de capital propre :

  1. le 1er  consisterait à travers un ajustement dans un relèvement des apports minima des travailleurs en partant du  principe  que l’accès à une entreprise de ce type doit correspondre à un engagement personnel très fort ;
  2. la 2eme solution consisterait à faire jouer les possibilités de garanties qu’offrent les pouvoirs publics, nationaux ou locaux ;

Il peut s’agir de garanties accordées  en fonction de l’intérêt de certaines activités.

C. Le pouvoir

La difficulté d’assurer des garanties personnelles pourrait être compensée par la cession de tout ou partie du pouvoir d’organisation et de gestion à ceux auxquels on demande les fonds nécessaires au développement de l’activité .on est alors confronté au problème central de l’économie sociale, au trait qui, au yeux de nombre d’observateurs, lui donne sa raison d’être ; l’exercice du pouvoir par les producteurs directs, selon le principe « un homme, une voix ».

Le principe  « un homme, une voix » empêche donc que le palliatif à la l’insuffisance des apports personnels puisse être trouvé dans l’appel à des financements externes de type classique .les travailleurs du tiers secteurs éviteront au maximum de faire appel aux banques, et cela d’autant plus  que cet appel risque de s’effectuer dans des conditions qui leur seraient très défavorables.

Trois perspectives s’ouvrent donc dès lors que l’on entend résoudre un tel problème :

    - la 1ère consisterait à surmonter l’obstacle  en jouant sur la variété des sources de financement  possibles. Même si le recours à un  financement extérieur conduit à céder une partie du pouvoir, on peut espérer que la multiplicité  des sources de financement conduit à neutraliser ces influences .Mais ce type de financement semble fonctionne mieux dans le cas d’entreprises déjà installées que dans celui d’entreprises  en voix de lancement, sinon au prix d’un engagement  massif de l’état ;

   - Une 2ème  perspective consisterait donc à recouvrir d’emblée à des organismes de financement spécifiques à l’économie sociale ;

   - Une 3ème  perspective concerne la mise en place de titres ou de techniques sensiblement  différents de ceux actuellement   rencontrés.

  1. Une 1er modalité consisterait à définir des titres ouvrirant un droit à la participation financière   mais  n’en ouvrant pas à l’exercice du pouvoir ;
  2. Une 2e modalité consisterait à passer des contrats de projets où l’on négocierait simultanément un apport de fonds et une orientation de la gestion, sans que l’obtention de ces fonds ne se traduise par une diminution de l’autonomie quotidienne de la gestion ;
  3. Une 3e  perspective consisterait  à créer une assemblée d’information spécifique aux actionnaires extérieurs de l’entreprise.

Il y aurait donc une influence  du financement sur l’exercice du pouvoir, mais pas le partage de ce dernier.

D. L’épargne de proximité

Tous les problèmes qui viennent d’être évoqués partent du principe selon lequel la motivation de l’épargne sont encore plus complexes, l’épargne  répond au triple besoin  de consister des réserves de précaution à court terme , d’acquérir les actifs patrimoniaux  qui assureront la sécurité à long terme , et une hypothèse (très largement vérifier dans plusieurs pays) avance également l’existence d’une « épargne de proximité » .C’est à dire une épargne dont la motivation serait attachée au développement harmonieux du milieu local , à la lutte contre désertification de certaines zones , au retour à des traditions utiles mais en voie de disparition, à la  maîtrise locale des problèmes d’énergie et d’environnement …etc., Cette épargne se réalise non pas aux dépenses du premier type d’épargne mais qu’elle s’y ajouterait , le développement de l’économie social  n’impliquerait  donc pas d’effet d’éviction au niveau financier sur le reste de l’économie.

La réalisation d’une telle hypothèse pourrait alors offrir  au problème de financement de l’économie sociale , une solution radicale , rendant tout à fait superflues les questions qui viennent d’être soulevées à condition bien entendu qu’existent à l’échelle locale les circuits financiers adoptés.

Les quatre thèmes  qui viennent d’être évoqués bien que le problème du financement de l’économie sociale se pose dans des termes autrement  plus  complexe  que ceux que l’on pouvait croire à première vue .les deux pôles du raisonnement classique : l’improductivité chronique de l’économie sociale et la motivation  spécifiquement financière de l’épargne sont eux-mêmes remis en cause, ce qui ouvre toute une série d’hypothèses et de scénarios possibles. Cela montre en tout cas que le rôle et la responsabilité des banques ne sont pas aussi passifs  qu’il semblait à première vue : le développement de l’économie sociale passe aussi  par la capacité d’innovation des banques.

Mr Ali Younes BOULIFA
Université Mouloud MAMMERI de Tizi-ouzou,
Equipe de recherche en EPPL
 


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